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BUFFY, UNE HEROINE TRAGIQUE?
Note:
je tiens à faire remarquer que je me suis aidée
de mon livre de français intitulé "Littérature,
Tome 1" chez Bordas, et que les passages entre guillemets
dont la source n'est pas citée en sont des extraits.
Pour établir un parallèle entre Buffy et le héros
tragique classique, j'ai pris un par un les éléments qui
définissent, en littérature et en théâtre, un
héros tragique, y associant ensuite un passage de la série
l'illustrant (si c'est possible), et argumentant sur le sujet ensuite.
Elément
n°1 : "L'action
est placée sous le signe du 'fatum', destin qui
dépasse l'homme, à la fois inéluctable
et sacré."
"Merrick: Your destiny
awaits.
Buffy: I don't have a destiny. I'm destiny free, really.
Merrick: Yes you have. You're the one who can stop them.
-Becoming part 1"
Dans
Buffy, le rôle du Conseil n'a jamais été très
bien expliqué. De plus, Restless a amené la
possibilité que les Tueuses existaient avant les Observateurs,
et donc probablement avant le Conseil lui-même. Parallèlement,
dans "Angel", il est souvent fait référence à des
pouvoirs supérieurs nommé "The Powers-That-Be",
et il est assez facile d'imaginer que ces Pouvoirs ne s'occupent
pas uniquement d'Angel et de la région de Los Angeles.
Il me parait donc très probable que le Conseil ne soit
pas le plus haut niveau, et qu'il en existe un au-dessus, peut-être
ces "Powers-That-Be" (encore jamais cités
dans BtvS),
Quant à l'idée de destin, elle est explicitement cité dans
BtvS, comme le montre l'extrait ci-dessus. La Tueuse a un destin qui la dépasse,
et que probablement même le Conseil ne contrôle pas tout à fait,
et elle n'est même pas forcément consciente de ce destin, tout
en étant forcé de l'accepter après. Ici, BtvS se détache
un peu de la tragédie classique, car le héros classique est
souvent au courant de son destin, et c'est parfois au nom de ce destin
qu'il meure, comme dans Antigone (si mes souvenirs sont bons) de
Jean Anouilh. Néanmoins, ce destin existe. Il est inéluctable, puisque le
seul moyen d'appeler un nouvelle Tueuse et que la 1ère meure, et sacré,
puisque le but est tout de même de sauver le monde (!!). D'ailleurs,
Buffy tourne régulièrement ce destin, qui est un devoir, en
dérision, comme dans Surprise où elle descend de la
voiture de Jenny en disant, "Sacred duty, yada yada yada". Elle
l'accepte souvent comme une fatalité plus que comme un vrai devoir,
ce qui est le cas de la plupart des héros tragiques.
De plus, "cette fatalité peut être intérieure (les
passions)" et l'exemple d'Angel ne peut qu'être cité dans
ce contexte. Le Buffyvers et l'esprit de Joss Whedon ont permis de changer
le cours des choses (Willow qui a jeté un sort), mais il est évident
que si Angélus avait vécu plus longtemps, Buffy ne serait pas
resté très longtemps en vie. Elle en était très
consciente, mais elle ne s'est jamais vraiment senti capable de le tuer (et
quand elle l'a fait, la douleur a été tellement insupportable
qu'elle a fugué).
Elément
n°2 : "A la mesure de sa situation hors-norme,
le héros tragique est toujours d'une condition illustre."
Si l'on ne peut pas aller jusqu'à qualifier la situation financière
des Summers d''illustre', il faut avouer que Joyce et Buffy sont loin de
tomber dans les abîmes de la pauvreté. Il me semble qu'on a
presque jamais vu Buffy deux fois avec le même pull, ce qui, sur 4
saisons (donc 72 épisodes), est une performance impressionnante. BtvS
se rallie aussi à la tragédie de ce point de vue là,
donc, mais comme il s'agirait d'une tragédie moderne, il est clair
qu'une famille aisée représente plus facilement une 'condition
illustre' de nos jours que le fait d'être princesse, reine ou d'un
rôle biblique prestigieux.
Elément n°3 : "Le
héros est capable d'erreur et néanmoins digne de
pitié."
"Buffy: Okay, I screwed up!!
I know it, all right? But you have no idea. You have no idea
what happened to me or what I was feeling-
Xander: Did you even try to talk to anybody?
-Dead
Man's Party"
Au
cours des 4 dernières saisons, Buffy a maintes fois
prouvée qu'elle était capable d'erreur. Elle
a pourtant une image de fille modèle, ce que lui reproche
activement Faith dans Enemies ('Thrahison'), en particulier
sur une vision d'ensemble. Mais si l'on regarde en détail
ces faits et gestes, on se rend compte qu'elle est loin d'être
parfaite. On ne parle même pas de la fugue ou du fait
de ne pas pouvoir tuer Angélus (dans son esprit) -ce
qui a causé la mort de Jenny- mais aussi du fait d'avoir
gardé le retour d'Angel secret ou de trop se consacrer à Riley
(de peur de le perdre, après Angel?) au point de ne
même plus se sentir colocataire avec Willow, ou d'oublier
de dire à Giles qu'elle sort avec un type de l'Initiative
alors qu'il cherche jour et nuit à localiser les commandos.
Mais ces erreurs sont compréhensibles, et rajoute à son
humanité. Elle est d'ailleurs souvent plus proche de
nous que n'importe quel héros tragique. Mais si on peut
la blâmer momentanément de ne pas avoir toujours
fait le bon choix, on la comprend. La pitié est un sentiment
qui ne revient pas souvent pour Buffy, peut-être parce
que Joss a fait ce choix, mais il arrive qu'on en ressente,
dans le bon sens du terme, comme dans The Prom au
moment où elle raconte à Will qu'Angel a pris la décision
de partir.
Elément n°4 : "Le
héros vise la perfection dans la générosité,
le sacrifice ou même le crime."
Jamais pour
Buffy il n'a été question d'atteindre le perfection
dans le crime, mais Faith s'est replié là-dedans
car personne ne remarquait ses nombreux sacrifices ou la générosité dont
elle aurait pu faire preuve.
En ce qui concerne Buffy, on peut dire qu'elle cherche la
perfection, comme tout le monde dans ce bas monde, mais elle
ne l'atteint pas forcément.
Dans Prophecy Girl -épisode tragique par excellence- elle sacrifie
sa vie pour sauver ses amis -et le monde- en espérant aussi avoir
fait son travail bien, jusqu'au bout. Et quand le Maître lui annonce
qu'il ne serait jamais sorti si elle n'était pas venu à lui,
les larmes se mettent à couler.
Quant à la générosité, c'est l'essence même
du rôle de la Tueuse. Buffy donne sans cesse de son temps, de sa force,
de sa vie pour aider les autres, sans jamais compter ni tenir un journal
de bord pour que tous ces gens lui rendent un jour quelque chose. Buffy est
généreuse sans s'en rendre compte, quoique quand il s'agit
de prêter son petit sweat à Kathy, elle est plus regardante,
mais les gens la remercient souvent pour ça. C'est d'ailleurs une
des choses qui a touché Faith (dans le corps de Buffy) dans Who
Are You ('La revenante, 2/2).
A noter que c'est aussi en obtenant la perfection dans la générosité,
en aidant tous ceux qui en ont besoin, qu'Angel espère obtenir la
rédemption.
Elément
n°5 : "Poursuivi
par un destin inique, le héros engage un combat
perdu d'avance, mais dont il sort grandi."
"Buffy : Is Sunnydale any better than when I came here?
Okay, so I battle the evil. But I don't really win. The bad keeps coming
back and getting stronger. [...]
Angel: Buffy, I'm still working things out; there's a lot I don't understand.
But I know it's important to keep fighting and I learned that from you.
Buffy: But we never-
Angel: We never win.
Buffy: Not completely."
-Gingerbread
Il
a toujours été clair que le mal ne peut être
détruit dans sa totalité. Ne serai-ce que parce
qu'il est aussi en chacun de nous. Pourtant, Buffy continue
de se battre. Le passage ci-dessus illustre ses doutes, mais
ses amis sont là pour les dissiper. Ici Angel, mais
en choisissant de rester à Sunnydale, Willow y a aussi
participé.
Buffy s'acharne à protéger les gens de quelque chose qui la
dépasse, et on la respecte pour ça. Ses combats l'aident à avancer
dans la vie, et si les récompenses ne sont pas toujours là,
il arrive qu'il y en ait une, comme avec le parapluie dans The Prom ('Les
chiens de l'enfer). En se rendant compte que les lycéens savent
ce qu'elle fait pour eux, Buffy en sort grandie. Il n'y a pas d'autres
mots.
Elément
n°6 : "Dans le consentement ou la révolte,
le héros choisit, lucidement, d'assumer son 'fatum'."
"Guard: Who are you?
Lily: No one.
Guard: Who are you?
Buffy: I'm Buffy, the vampire Slayer. You?"
-Anne"
Buffy
est un bon petit soldat, qui va à la guerre en ronchonnant,
mais qui y va. Sa fugue à L.A matérialisait son
envie d'échapper à son destin, mais ne peut pas.
Le passage cité marque une coupure dans "Anne": à partir
du moment où Buffy accepte qui elle est, elle peut recommencer à se
battre comme avant, et elle trouve le courage de retourner à Sunnydale.
Elle fait face à son destin, en toute conscience de
cause, parce qu'elle y était obligée, mais
aussi parce qu'elle sait que c'est une bonne cause, comme
Willow le rappelle dans Choices ('La boîte de
Gavrock').
En fin de saison 1, quand elle a été mise face à son
destin dans le Codex, son premier mouvement a été la révolte,
elle n'y croit pas, elle ne peut pas y croire. Mais, et c'est ce qui fait
sa force, elle finit par accepter. Elle est consentente quand elle va au
repère du Maître, même si elle sait ce qui va lui arriver,
pourtant elle n'a jamais été aussi lucide. Prophecy Girl marque
en cela une rupture, c'est la première fois qu'elle consent à son
destin. Dans Welcome To The Hellmouth, elle finissait par l'assumer,
parce que c'est une partie d'elle dont elle ne peut se défaire, mais
elle n'y consentait pas vraiment. Giles lui demandait de combattre, elle
combattait. Dans la season finale, elle prend seule la décision de
se sacrifier, c'est le début d'une longue évolution.
Notez
que l'acceptation de ce 'fatum' ne l'empêche pas de se
révolter, et d'abandonner le Conseil. Mais même
après, elle continue de se battre contre les forces
du mal. Elle a choisi d'accepter son destin, à sa manière.
Elément
n°7 :"Dans cette confrontation avec des forces
supérieures, l'enjeu est souvent la mort, revendiquée,
acceptée ou subie."
Dans Prophecy
Girl, Buffy se révolte d'abord contre une mort qu'elle
trouve injuste, puis elle l'accepte. Elle ne la subie pas,
car elle sait parfaitement qu'en allant au Maître elle
va à la mort, mais elle ne la revendique pas non plus.
Elle l'accepte, comme elle a accepté son destin, non
sans espérer qu'il pourrait y avoir une autre issue.
Joss l'a fait revenir à la vie avec Xander, et entre nous tant mieux,
parce qu'il n'y aurait que la première saison, je ne serais probablement
jamais devenue fan, et donc Buffy est en quelque sorte revenue à zéro.
Maintenant, elle se bat, tout en sachant que la mort est au bout, et plus
tôt que pour les autres humains, comme diraient les Oracles. Dans Helpless ('Sans
défense'), le test consiste à se débarrasser des Tueuses
de 18 ans qui ne pourraient pas aller très loin, de toute façon,
et dans Doomed ('La fin du monde'), elle signale à Riley qu'une
Tueuse ne passe jamais le cap des 25 ans. Buffy a 19 ans. Même si elle
est consciente que sa mort risque d'être prématurée,
elle ne se torture pas avec cette idée. Sa 1ère mort a été utile
pour la faire aller de l'avant. Elle ne revendique toujours pas sa mort future,
mais elle l'accepte. Du moins, tant que cette mort reste une idée
abstraite, un trait qui arrêtera la ligne chronologique de sa vie;
reste à voir si, de nouveau confrontée à une prophétie
de mort, elle acceptera d'emblée cette mort.
Elément
n°8 : "Les trois unités, l'action,
le temps, le lieu."
Joss
ne s'est pas du tout maintenu à cette règle, qui
exige qu'une tragédie se déroule sur 1 seul jour
et dans un lieu unique et ne contienne qu'une seule intrigue,
mais cela s'explique facilement. BtvS est avant tout une série
qui doit donc évoluer, avec l'actualité et les
modes de vie. De plus, pourquoi se restreindre à un lieu
quand on peut en faire plusieurs? Ne pas se maintenir à cette
règle permet des intrigues plus variées, des lieux
d'action différents et la création d'un monde à part
entière -le Buffyvers. Donc, à bas les vieilles
règles poussièreuses :)
CONCLUSION
(personnelle)
Buffy est, pour moi, une héroïne tragique d'aujourd'hui. Joss a
gardé énormément d'élément du tragique tout
en les modifiant légèrement. De plus, le tragique classique (et
français) ne se permet pas de mêler les genres. Pour BtvS, le
ton de la série n'est pas vraiment tragique -c'est juste que son héroïne
est en partie tragique- ce qui laisse la place à l'humour, au drame
et à d'autres genres. De ce point de vue, Joss se rapprocherait de Shakespeare,
qui lui aussi mélangeait déjà les genres.
Le parallèle établi est intéressant, et m'amène
en fait à une conclusion plutôt simple. La série ne peut
finir que sur la mort de Buffy. J'adore personnellement ce personnage, mais
la faire survivre jusqu'à 60 ans par je ne sais quel trouvaille serait
s'éloigner de l'esprit de la série. Voilà 4 saisons qu'on
nous râbache que la vie de Buffy est sans issue, alors en trouver une
au dernier moment, ça ferait bizarre.
La série se finira probablement sur la mort de Buffy, ou alors c'est
comme fêter Thanksgiving ailleurs que chez Giles, c'est 'all meaningless'
;)
Quelques
réflexions en plus sur le sujet après la saison 5:
Joss
a toujours su, et voulu, étonner. Ce qui est normal, pour
que la série continue d'intéresser les gens. Buffy était
morte une fois, au nom d'une prophécie qu'elle avait accepté;
elle était revenue à la vie, et plus personne n'avait
réellement l'illusion qu'elle pourrait vivre veille. Pourtant
les téléspectateurs ont fait comme elle: ils se sont
fait à l'idée. Un jour, un démon sera plus
fort qu'elle, il la tuera. Ce sera triste, bien sûr, mais
on ne pourra pas dire que l'on ne s'y attendait pas. Buffy le sait
parfaitement, mais elle ne se torture pas avec cette idée.
Comme dit plus haut, tant que la mort reste une idée abstraite,
elle l'accepte sans problème. Mais la vérité,
c'est qu'elle grandit, notre Tueuse. L'ado qui acceptait d'aller
en patrouille sous les ordres de Giles avec un soupir devient plus
proche de son Observateur, elle apprend avec lui, elle grandit,
mentalement, se sépare du Conseil et continue à faire
ce qui est devenu 'son boulot', elle s'affirme. En saison 4, elle
s'éloigne de la figure d'autorité qu'était
Giles, notre Tueuse devient de plus en plus efficace, et si le
travail de recherche est toujours confié à Giles,
elle sait raisonner seule maintenant. En saison 5, elle apprend à faire
face à la maladie, puis à la mort, à celle
d'un proche, elle continue son chemin et évolue vers quelqu'un
de plus en plus protectif envers sa petite soeur. Puis quand cette
dernièe est menacée de mort, le résultat de
4 ans d'évolution depuis sa première mort apparaît.
Buffy est une héroïne tragique qui se sacrifit. Quant
elle comprend que le seul moyen de sauver Dawn est de sauter elle-même
dans la boule d'énergie, elle le fait. Elle n'hésite
pas. Et elle meurt, une seconde fois.
Si on regarde l'élément 7 qui définit un héros
tragique, on voit parfaitement l'évolution de Buffy. En fin de S1, elle
acceptait sa mort. En fin de S5, elle la revendique. Elle la provoque. On retrouve
alors l'élément 4: elle a atteint, avec The Gift, la perfection
dans le sacrifice, elle offre, elle impose sa vie pour sauver celle de sa soeur
(alors que dans Prophecy, elle abandonnait sa vie, il y a une nuance ici qui
montre tout le chemin parcouru en 4 saisons).
Voilà ce qu'on pourrait
dire pour conclure sur cette cinquième
saison, dont la fin marquera elle aussi, on peut en être certain, un
point de non-retour atteint dans l'évolution de Buffy, et dans celle
de la série. Notre héroïne tragique a atteint sa perfection,
elle a donné tout ce qu'elle avait. Mais la série, pourtant,
ne s'arrête pas. Buffy va revenir, ce n'est un secret pour personne.
Mais que se passe-t-il quand on a atteint une perfection et que l'on revient?
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