CHAQUE EPOQUE ENGENDRE SON HEROS

 

Lettre ouverte à l'équipe d'"Arrêt sur Image",
avec une attention particulière à Madame Frau-Meigs

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Si la série "Buffy the vampire Slayer" a bien une singularité, c'est celle d'avoir une base de fans très active, en particulier sur interne. Fait que France 5 a pu constaté sur ses forums… Sur notre territoire, le taux d'attention médiatique intelligente (c'est-à-dire une attention médiatique dépourvue de visée commerciale) étant très bas, ce n'est guère étonnant que tous les adeptes se soient rapidement mobilisés autour de l'émission… (d'autant plus qu'ils forment souvent des groupes d'amis proches, peu importe l'âge ou le secteur professionel… le fan ne serait-il pas aussi antisocial que ça?) A partir de là, je pense qu'il n'est pas difficile d'imaginer, ou plutôt de comprendre la véritable séisme que l'émission du dimanche 15 décembre a provoqué dans la communauté des fans, une émission où la série s'est trouvé tour à tour affligée des caractères "raciste", "anti-social", et finalement "machiste". Je vous mentirais en disant que certains fans n'ont pas songé à aller se plaindre directement à M. Le Président de la République lui-même. Fort heureusement, vous aurez constaté que l'action n'a pas eu lieu. Le fan de BtVS n'est pas totalement dégénéré et il a fini par se remettre… en regardant son épisode préféré en boucle, bien sûr.

Cette lettre n'a pas l'ambition de faire part de tous les avis qui ont circulé dans les cercles de fans de BtVS. Elle n'a pas non plus la vocation de réfuter tous les points de la thèse de Mme Frau-Meigs, car je ne tiens pas à écrire des pages qui n'auraient d'autres résultats que celui de nous faire passer pour des maniaques pointilleux. De plus, chacun est libre d'avoir son opinion… Cela dit, j'espère avec cette lettre apporter une réponse, un complément tout au moins, à l'émission de dimanche. Et j'ose espérer que les autres fans ne m'en voudront pas de dire que je vais essayer de parler au nom de tous. Après tout, faisant moi-même parti de la tranche d'âge 16-30 ans, et ayant moi-même acheté un certain nombre de cassettes, DVDs et livres en français et en anglais traitant de la série, je suppose que je représente quand même assez bien le stéréotype du fan.

Afin d'éviter à tous une lecture trop longue et pénible, abordons les points majeurs de la discussion, ainsi que ce qui estt apparu, si je peux me le permettre, comme les plus sévères erreurs du débat. Commençons donc par quelques remarques générales:
Je dois dire que j'ai été déçue de voir que la véhémence de Mme Frau-Meigs a trop souvent empêché les autres intervenants de défendre correctement leur point de vue. Je comprends que le sujet tenait à cœur à la sociologue, mais j'aurais bien sûr aimer voir Antoine de Froberville pouvoir défendre la série sans être interrompu… Mais passons sur la forme (rien ne sert de s'y attarder dès lors que l'émission a eu lieu et que nous ne changerons rien aux actes des intervenants), et attachons nous plutôt à étudier le fond.

D'abord, deux points fondamentaux sur la série à rappeler, car même s'il serait déplacé de dire que les intervenants ne connaissaient rien au sujet, il leur manquait apparemment quelques bases essentielles.
Mme Frau-Meigs, vous avez répété à plusieurs reprises que Buffy "s'auto-octroyait le droit de tuer". Je me vois dans la nécessité de vous faire remarquer que vous avez alors mal compris le fondement même de la série. Les deux premières saisons ne commençaient pas pour rien par la phrase, "Dans chaque génération, il y a une Elue". Pour résumer, le mythe des Tueuses tel que la série l’envisage se base sur la prédestination d'une jeune fille à affronter le Mal Bien que la série soit restée (volontairement?) vague sur les critères de sélection d'une future Tueuse, nous savons cependant que le Conseil des Observateurs est voué à la prise en charge de ces jeunes élues afin de les entraîner et de leur fournir un conseiller avisé, "l'Observateur". Répétons-le: les Tueuses sont des Elues. A aucun moment elles ne choisissent ce rôle: c'est une destinée.
Vous avez donc raison, Buffy ne chasse pas les vampires parce que cela lui a été demandé par la communauté de Sunnydale. Mais cette responsabilité lui a été imposée, par une force qui dépasse la décision humaine. Le monde de fiction de Buffy s'avère très différent du notre en bien des points ; elle combat le Mal sous toutes ses formes, et *défend* donc la communauté, qui ne réalise bien souvent pas ce à quoi elle a à faire. Elle s'y emploie sans leur accord direct peut-être, mais pour le bien de tous, acte altruiste et désintéressé. Reproche-t-on à Batman ou à Superman de ne pas avoir consulté leurs concitoyens avant d'enfiler leurs collants (de leur propre initiative, pour le coup)? De plus, sur ce sujet, je vous avouerais que votre argumentation frôlait l'ironie pour le téléspectateur qui a suivi un peu la série. En effet, Buffy a passé la majeure partie des trois premières saisons à remettre en cause son rôle, à vouloir renier ce destin, à tenter de se dérober à ses responsabilités assimilables au passage progressif l'âge adulte, avant de l'accepter et de l'embrasser par la suite, en grandissant.

L'autre point essentiel est celui de la femme et la manière dont elle est présentée à l'écran dans BtVS. Etrange de voir la série accusée de mettre la femme en "position de dépendance" quand certains téléspectateurs mâles eux-mêmes finissent par regretter que l'équipe soit pour la majeure partie féminine. Si BtVS a bien été crée par un homme, Joss Whedon, il a lui-même clairement exprimé sa volonté de construire sa série contre un préjugé, celui qui pose la femme blonde et innocente en victime vulnérable, qui finit tout bonnement assassinée. La toute première scène de la série est d'ailleurs déjà un renversement de ce cliché.
BtVS a toujours mis la femme en avant. Dans le groupe initial des adolescents, Alex est le seul garçon, et en apparence celui qui offre le moins au groupe, tandis que Willow et Buffy sont toujours des atouts essentiels.
Dans la même veine vient ensuite cette idée que la femme est présentée soit en victime, soit en héros. Dans l'épisode "Sanctuary" de la première saison de la série "Angel", Buffy déclare à Faith (pesonne qui représente symboliquement son double maléfique): "Personne d'autre [que toi] ne m'a jamais fait apparaître comme une victime". Notez que le personnage lui-même ne se considère jamais en tant que victime. Au demeurant, la série défend une philosophie sans doute plus proche de l'existentialisme de Sartre, où chacun est responsable de ses choix et en subit les conséquences : tout le personnage d'Angel est construit sur ce modèle. Autre illustration, la chute du coté maléfique de cette même Faith lorsqu'elle tue accidentellement un homme et refuse d'en assumer les conséquences.
De plus, Buffy réagit en réalité bien souvent comme une humaine plutôt que comme une héroïne, comme par exemple à l'annonce de sa propre mort, ou à celle de sa mère. Buffy reste avant tout proche de nous, dans ses joies, ses peurs, ses désirs, à l'instar de tous les personnages. C'est l'humanité qui les caractérise qui donne la possibilité au téléspectateur de s'identifier à eux. Ceci explique en partie le succès de la série, et de beaucoup d'autres d'ailleurs.

Ensuite, je me dois bien sûr de faire une réponse à l'accusation la plus violente, celle de racisme, qui a fait s'évanouir – ou hurler de rage, selon leur degré d'émotivité - devant leur écran les fans téléspectateurs.
L'un des invités l'a fait remarqué, il est ici important de mettre en avant le manichéisme de base de la série: le Bien contre le Mal. La série a aussi ses faiblesses, et la première saison tout particulièrement était essentiellement basée sur cette simple opposition. C'est un fait, les démons sont différents des humains. Mais dans le contexte où ils sont foncièrement mauvais, ce n'est le résultat ni d'un choix de leur part, ni d'une obligation extérieure, mais il s'agit bien de leur nature. Ils sont le Mal personnifié.
Là où le débat devient intéressant, et qu'il mériterait qu'on lui accorde plus d'attention, c'est qu'au fil des années, les exemples se sont multipliés de démons faisant preuve d'une certaine humanité, ou du moins d'une absence d'aggressivité: on citera entre autres le démon Whistler qui aide Buffy en fin de deuxième saison, les démons qui vendent des livres aux Tueuses dans "Enemies" (saison 3). Les exemples s'accumulent, avec bien sûr le personnage de Spike, qui a fait preuve d'une surprenante bienveillance dépassant de loin les interdictions imposées par sa puce anti-violence. Puisque certains démons ne semblent pas fondamentalement être des agents du Mal, il est justifié de se poser des questions sur le rôle de Buffy. Son état de Tueuse ne serait donc pas absolu? Quelle attitude adopter face à du "potentiellement" quand on risque sa vie tous les jours? Quel droit l'autorise ainsi à décimer ces démons? Le débat est toujours ouvert dans la communauté des fans elle-même, et alimenté régulièrement par les nouveaux épisodes…
Cependant, il me semble essentiel de noter deux choses: d'abord, Buffy réagit plutôt qu'elle n'agit, c'est à dire qu'elle tue plus souvent des démons parce qu'ils ont fait quelque chose de mal que parce qu'ils sont démons (à l'exception notable des vampires). C’est un châtiment donné par une personne en mesure de le faire et pour le bien commun: ce n’est en aucun cas une violence gratuite, mais l’expression d’une lutte pour la simple vie. Ensuite, le démon dans un épisode n'a bien souvent qu'un rôle symbolique ou dramatique: il est là pour évoquer une peur adolescente. Pour reprendre le cas de Ted, petit ami de la mère, il est le beau-parent que les adolescents voient comme une menace. Le démon peut aussi personnifier un obstacle, être un des nœuds de l'intrigue qui fait avancer la situation globale – je pense par exemple au démon Sweet de l'épisode musical.
Si, dans la théorie, le démon représente l'Autre, l'alien, le démon dans BtVS fait plus souvent figure d'allégorie. Pour finir, et bien que cette idée de racisme soit totalement hors de propos, soulignons qu'il serait sans doute plus légitime de s'interroger sur le message véhiculé par la série dans les épisodes "What's my Line", qui figure une Tueuse noire…

Quelques derniers points qui me tiennent à cœur….
Il y a un père dans BtVS. Comme l'a dit Antoine de Froberville, il s'appelle Giles, il est figure de transmission du savoir, de culture, et il est un élément central de la série.
Quant à attaquer BtVS sur le point de la religion, je dois avouer que c'est assez rare dans ce sens. Visiblement, les associations religieuses elle-mêmes ne voient pas les choses sous cet angle… BtVS a sans doute volontairement refusé de s'attacher à une religion.
Enfin, et bien que je ne sois pas personnellement fan de ce personnage, faisons-lui justice: Spike change. Il a évolué comme le reste des personnages. Comme un des participants l'a dit, les gentils peuvent devenir méchants, mais il prouve que les méchants peuvent aussi s'avérer capable d'être autre chose, Spike et Faith en sont la preuve.

Il est temps que je repose ma plume. J'espère que j'ai fait justice à la série, à ses fans, et que vous avez vu en cette lettre un complément intéressant et une nouvelle lumière faite sur certains éléments, peut-être. Je ne souhaite pas convaincre – juste donner la parole à un coté qui a peut-être été un peu oublié (où était l'adolescent ou le jeune adulte pour parler de la série depuis l'intérieur?). Je finirais sur deux choses: je suis évidemment, comme la plupart de la communauté finalement, contre une diffusion de la série à dix-huit heures. Le public auquel la série s'adresse n'a pas moins de treize ans, et vous trouverez sans doute peu de gens à arguer que BtVS est une série absolument non-violente, ce qui est sans doute la raison pour laquelle le débat a légèrement dérivé. Mais une série véhiculant une image de paix totale serait-elle série idéale, ou mensongère ?
Et enfin, je tiens à remercier toute l'équipe de l'émission d'avoir écouté ses forums, et d'avoir accordé de l'attention à la série. En tant que fan, c'est ce genre d'attention intéressante que j'aime. Cela n'a peut-être pas tourné à notre avantage, mais c'est toujours une source de débat enrichissant.

Sur ce, vous m'excuserez, mais ça fait au moins trois heures que je n'ai pas vu un épisode, le manque devient insupportable!

Plus sérieusement,
Veuillez agréer à mes saluations les plus sincères,
Joey


PS: J'ai volontairement omis la fin de l'émission, bien que la comparaison des deux séries ait été riche en débat. Premièrement, car j'aurais besoin d'écrire une nouvelle lettre pour aborder le sujet correctement, et deuxièmement car, la saison six n'ayant pas été diffusée sur M6, je tenais à respecter les téléspectateurs qui n'ont pas encore eu l'opportunité de visualiser l'épisode.